Au milieu de la pièce, l'ombre de Red Hood s'étirait en longue strie noir sur le sol d'un blanc brisé, droite et rigide. Face au mur, il était raide et absent. L’ancienne teinturerie aux relents acides d’ammoniaque était silencieuse, ses reliefs immobiles et son espace vide de signe de vie. Tout semblait mort, mais sous le masque rouge des pupilles balayaient le voile trouble devant le vigilantiste, petites et affolés, de haut en bas, de droite à gauche, à la recherche de quelque chose. Quelque chose qu’il pouvait sentir, qu’il pouvait traquer sous la visière de son masque, sous la protection de son armure et de sa peau.

Un bruit métallique retentit dans les lieux abandonnés et les iris agitées furent balayer d’un battement de paupières lénitives. Les yeux de Jason se rouvrir et il tourna lentement le visage vers un coin opposé de l’endroit avant de s’exprimer au travers des mécanismes déformants de son masque.

« -Tu es en retard. J’espère que tu as une bonne raison qui vaut au moins 23 points de sutures et 4 agrafes. » Il espérait surtout que son acolyte avait ramené à manger. Une petite voix plus « empathique » au fond de lui conseilla de vraiment s’enquérir de l’état de santé de son partenaire, mais elle n’avait pas beaucoup de coffre, étouffée. Alexander Wilson était le dernier de ses soucis, après tout. Le justicier fendit l’espace entre lui et l’endroit d’où était provenu le son, ses semelles raisonnant lourdement. Cette planque était plutôt nouvelle, un peu improvisée vu l’urgence à trouver un nouveau lieu de chute, cette fois partagé en bonne et due forme à travers un contrat aussi formel qu’ils pouvaient en former. Signer au sarcasme de la part du revenant qui n’acceptait pas réellement l’idée de désigner le mercenaire comme plus qu’un partenaire occasionnel d’affaire. Mais Wilson commençait à prendre ses marques.

C'est bien sa veine. Gotham est vraiment une ville déglingée ; il n'était là que pour se rencarder auprès d'un petit trafiquant de quartier, une menue besogne au fond vite raclé, et le voilà bourlingué dans une affaire grand-guignolesque. Deux maniax leur sont tombés dessus avec des semi-automatiques et ont tapissé la ruelle de détonations, au hasard, très sûrement. C'était tout juste, pense t-il derrière la vague protection d'un benne à ordures, la main sur les babines de son informateur retroussées par la terreur. Une rafale fuse au-dessus de leurs têtes et Alex étouffe un râle contrarié. Plutôt caustique, détaché de l'affrontement, il se sent les deux pieds dans une routine un brin trop familière ; une routine de soldat planqué derrière un couvert. D'un geste mécanique et presque las il recharge, clope suspendue au bec depuis trop longtemps pour ne pas se disloquer en cendres, inspire profondément, bloque son souffle, écrase son tube de nicotine et se lève hors de son abris. Ses tirs sont millimétrés et désarment en touchant les deux barjots qui ne lui prêtaient pas grande attention au niveau de l'épaule. Lupara les réceptionne ensuite pour les assommer tour à tour d'un revers de crosse méthodique. Quand il se retourne il voit que son contact s'est fait la malle sans même un remerciement. Bouarf, l'usuelle.
Y'a plus grave. A en juger par sa montre, qui retarde en plus, Jason va lui faire la peau. Un petit tour par le restaurant chinois, deux pâtés de maison plus loin, semble être un bon investissement pour son capital survie.
Sa démarche est peu soignée, paresseuse lorsqu'il pénètre dans le repaire, sac plastique pendouillant négligemment à son avant-bras replié. Par son prisme la scène est presque domestique et gentiment banale. Mais, bien évidemment il retrouve Jason en poste ; dressé sur ses appuis et alerte. Ce gamin prend t-il seulement une pause de temps à autre ? La question est rhétorique. La voix déformée qui lui parvient plisse son nez ; il n'aime pas lorsque son comparse reste casqué pendant les temps morts, si loin d'une éventuelle tranquillité d'esprit. Mais il n'en dit pas un mot. A la place il dresse les paumes en signe d'apaisement et brandit son sac de victuailles comme une excuse muette.
« Erm, ça tombe mal j'ai qu'une excuse à deux balles. Mais si ça t'intéresse j'ai deux-trois infos sur notre gros bonnet. On fait un deal ; tu ingurgites un truc et je te balance tout ? »

La belle gueule de Wilson semblait en un seul morceau, aussi intacte qu’elle l’était à l’accoutumée. Sa démarche était toujours d’une nonchalance chaloupée et ses sourcils sont toujours aussi rapide à s’arc-bouter d’un air entendu. De son analyse fine, Jason jugeait que son collègue était entier, peut-être un peu trop. Son attitude aura dû l’agacer, le replier vers un isolement naturel à la nature solitaire qu’il prétendait posséder. Cependant, Alexander Wilson avait la chance insolente d’être toujours à la frontière. Trompe la mort, trompe son monde. Il savait autant filer entre les balles que flirter avec les faits. Bref, c’était un talentueux merdeux inconscient. Sûrement que sa bouffe saurait le sauver un jour de plus, comme les 67 dernières fois, se dit-il en emmetant un son rauque et désagréable situé entre le pouffement et le grognement.

« -Tu pense pouvoir négocier, alors même que tu n’as pas encore mit en avant tous tes atouts. J’espère pour toi qu’il y a beaucoup de porc caramélisé dans ce sac. » Ses mains gantées vinrent trouver l’arrière de son casque avec lenteur et sa bouche se dessina en une ligne grave alors que les crans sautaient et que les serrures se déployaient dans un bruit pneumatique. Le rouge quitta sa peau et sa vision, transformant des murs de sangs carmins en simple crépit peinturlurés de blanc plombé et craquelé. Sa paume gantée posa avec lourdeur la coquille métallique dans un bruit mastoc sur un sac de sport ouvert d’où ressortait quelques liasses de billet. Aussi vite son masque enlevé, la main gantée du garçon plongea dans l’antre du sac tenu par son acolyte et attrapa trois brochettes. Tout d’abord, et tout en fixant Wilson dans les yeux, sa langue vint tester la viande. Puis un petit coup du bout des dents en arrachèrent un échantillon. Et quelques secondes plus tard il mastiquait bruyamment le bout de porc encore chaud sous la pression avide de sa mâchoire. Ses sourcils froncés mettaient Lupara au défi de commenter.

«-Voilà le deal » Entama-t-il d’une voix étouffée par la nourriture qui avait prit possession de sa bouche et qui s’échappait par petites particules sous son empressement. «tu vas me dire tout ce que tu as appris et si ça ne concerne pas un poisson suffisamment gros, c’est toi qui va rejoindre les fond marins de la baie. Après m’avoir donné l’adresse de ton fournisseur. » Il leva le petit pique de bois jadis transperçant une nourriture asiatique très locale.